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Par Céline Desbrun 4 analyses de Buffy

1 Analyse de Buffy par Céline Desbrun le 02 avril 2017

Publié le 10/04/2017 à 14:57 par sunnydaleville Tags : Buffy contre les vampires

 

[Analyse 1/4] Buffy contre les vampires ou l’étoffe des mythes

Une oeuvre pop qui renverse les codes du slasherDans__Innocence_Buffy_sapprte__infliger_une_correction__Angelus_1Dans « Innocence, partie 2 » (2.14), Buffy s’apprête à infliger une correction à Angelus.

Lorsque la première saison débarque sur M6 en 1998, plus ou moins au même moment que la sortie de Scream 2 en salles — Sarah Michelle Gellar y jouait un petit rôle — on sent que la chaîne ne mise pas spécialement sur ce nouveau programme, et que cette première diffusion fait office de test. Les 12 premiers épisodes sont en effet diffusés le vendredi, en 3e partie de soirée, vers 23h30, et les médias en parlent peu à ce moment-là. Le très grand public Télé Loisirs publie même un avis de quelques lignes ultra-négatif passant complètement à côté du second degré et du retournement des codes du film d’horreur comme de la série pour ados, en traitant plus ou moins Buffy de programme crétin. Pourtant, contre toute attente, la série prend, poussant M6 à la basculer dans sa grille du samedi, juste après Charmed, dans le cadre de sa Trilogie du Samedi Soir dès la saison 2. Et, comme aux États-Unis, le phénomène se met en marche bien que, là encore, mis à part Alain Carrazé et Jean-Pierre Dionnet qui animent une émission sur Série Club et écrivent pour des revues spécialisées, peu reconnaissent les qualités d’écriture de la série ou tentent de l’analyser. Sa diffusion concomitante de celle de Charmed tend à l’associer à cette première dans l’esprit des spectateurs, bien que les deux oeuvres soient incomparables.

Après tout, comment prendre au sérieux une petite blonde filiforme au nom ridicule qui réduit en cendres des suceurs de sang en leur plantant un pieu dans le coeur après avoir effectué des figures de taekwondo ? Pourtant, sous ses dehors pop qu’elle n’a jamais reniés, jouant allègrement avec d’innombrables références à travers ses dialogues inimitables, Buffy contre les vampires inverse la donne en dotant cette même petite blonde, qu’on aurait tôt fait de qualifier de bimbo, d’une force surhumaine et d’une agilité exemplaires. Filmée comme une véritable héroïne de film d’action, utilisant diverses armes, elle vient rompre le schéma traditionnel qui veut qu’une femme un peu carrée, à l’allure un peu masculine ou du moins androgyne puisse être une héroïne d’action crédible (Ripley, Sarah Connor…), tandis que la petite blonde sera condamnée à être un objet de désir pour le héros ou bien la victime sacrificielle par excellence du cinéma d’horreur, en raison même de son apparence sexuée, qui va souvent de pair avec une intelligence limitée, ou, du moins, avec une grande vulnérabilité. Sarah Michelle Gellar elle-même, alors que la diffusion de Buffyavait déjà démarré, jouera ce type de rôle au cliché assumé, dans Scream 2d’abord, où la pauvre Cassie n’a aucune chance face au tueur, puis dans Souviens-toi l’été dernier, où elle incarne l’agaçante reine de beauté Helen, qui évoluera cependant avant de se faire rattraper par le tueur au crochet, après une course-poursuite effrénée dans une allée sombre.

Alors bien sûr, dans ce genre particulier, nous avons eu droit, en dehors d’une ribambelle de métrages oubliables, à des films d’horreur assez savoureux, réalisés par de grands maîtres. Mais l’idée de Joss Whedon, qui émergea dans son esprit alors qu’il était encore étudiant en cinéma, est résolument brillante : concevoir un récit initiatique sombre et pop à la fois en inversant ce motif récurrent des films d’horreur, où le personnage féminin à priori vulnérable se révèle être une redoutable combattante. Ce renversement, amorcé dès l’introduction du premier épisode, « Welcome to the Hellmouth », où la vampire Darla (Julie Benz), grimée en lycéenne catholique apeurée, piège un adolescent contre lequel elle se retourne alors que l’on s’attend à voir un monstre surgir pour la dévorer, a été beaucoup commenté, y compris d’un point de vue féministe. Un point de vue qui correspond aussi à la volonté de Whedon, qui a grandi auprès d’une mère enseignante et militante, de montrer des personnages féminins forts en utilisant les stéréotypes pour mieux les briser.

Rapports de pouvoir, féminisme et démons intérieursdarla_julie_benz_1Dès la scène d’ouverture du film, Joss Whedon renverse les codes du slasher en faisant de la petite blonde apeurée (Darla, incarnée par Julie Benz) une redoutable prédatrice.

Car ce renversement des codes est aussi un renversement du pouvoir, et nombreuses sont les personnes féministes à avoir salué la manière dont la série pulvérisait cette image du « sexe faible », en proie à un agresseur inconnu. Cependant, bien vite, d’autres sons de cloche se sont fait entendre, ce qui n’est, au fond, pas étonnant : à partir du moment où un auteur se dit féministe, ou que quelqu’un le définit comme tel, cela l’expose immanquablement à une attention accrue, où certains chercheront à vérifier à chaque nouvelle oeuvre que la vision qu’il propose est « réellement » féministe, un peu comme s’il y avait une charte à respecter. Ce « débat », qui continue encore aujourd’hui, bien que faiblement relayé car faiblement argumenté, se retrouve ainsi sur un certain nombre d’articles de blogs anglo-saxons, mais aussi quelques blogs francophones.

L’un des arguments à charge relevé dans un article tel que celui-ci, est que, si Buffy est forte et sait se défendre, les vampires et divers démons attaquent généralement la nuit et s’en prennent régulièrement à des femmes, dont certaines meurent, validant l’idée selon laquelle une femme sortant seule le soir ne serait pas en sécurité. Passons outre le débat sur la pertinence ou non de cette idée : cet argument passe surtout complètement à côté du fait que les histoires de monstres frappant la nuit ne sont pas là pour perpétuer le mythe du sexe faible avec des agresseurs à la force surhumaine, mais renvoient avant tout à notre peur du noir, qui remonte à l’enfance et nous place face à toutes nos peurs inconscientes et métaphysiques. Les monstres symbolisent le gouffre tapi en nous, qui pourrait nous engloutir à tout moment si nous n’y prenons garde, mais aussi notre peur du néant face à l’inconnu, la mort, l’immensité qui s’étend tout autour et au-delà.

De plus, si des femmes se font en effet tuer dans Buffy, les hommes sont eux aussi régulièrement touchés et ne sont jamais à l’abri. La série met en scène un monde violent, où le pire peut toujours arriver, y compris lorsque des nuées de lycéens savourent la fin de leur semaine de cours en boîte de nuit. Mais, surtout, les démons que combattent la Tueuse de vampires et ses amis sont des métaphores de nos démons intérieurs et, en ce qui concerne les premières saisons, de toutes les interrogations que les adolescents se posent alors qu’ils approchent de l’âge adulte. Interrogations quant à leur identité, mais aussi à la sexualité.

Le vampire comme métaphore de l’altérité en nouspisode_Les_deux_visages_1Dans l’épisode « Les deux visages » (3.16), Willow (Alyson Hannigan) se retrouve face à son double vampirique, échappé d’une dimension parallèle. Le thème de l’autre en soi traité de manière littérale.

Or, le mythe du vampire, créature nocturne par essence, est fondamentalement lié à cette thématique de la sexualité, que ce soit par son baiser, qui se fait morsure, ou par le sang, lié aussi bien à la vie qu’à la mort. Si, au Moyen-Age, le vampire était en partie utilisé de manière dissuasive et moralisatrice afin de préserver le peuple du péché, sa force d’évocation n’a jamais faibli et, au fil du temps, le mythe a évolué et acquis une nouvelle résonance, sans jamais cesser de donner corps aux peurs les plus profondément ancrées en nous, où la mort et la sexualité, Eros et Thanatos mêlés, sont toujours très présentes. On peut également aller plus loin et dire que le vampire peut être vu comme la présence d’un autre en soi : il ne peut entrer dans une demeure qu’après y avoir été invité ; or, la maison symbolise souvent notre être, qu’il s’agisse de notre âme ou de notre corps, nos fondations, en un mot.

L’abolition de cette frontière entre soi et l’Autre, qui se fait avec notre consentement (bien que le vampire utilise souvent la ruse pour parvenir à ses fins), expose au risque d’une contamination, puisque les murs qui nous protégeaient sont soudain abaissés. C’est là le mode de fonctionnement du vampire, qui attaque alors que nous nous y attendons le moins, que nous avons baissé la garde, consciemment ou non. Cela n’est donc pas un hasard si, au-delà de la sexualité, mais aussi de l’amour (qui nous confronte à cet impossible désir de fusion à l’autre) l’altérité est un autre grand thème de Buffy : notre manière de nous positionner au sein de la famille ou du groupe, l’inquiétude par rapport au regard des autres, la peur de la différence, l’incommunicabilité, ne sont que quelques exemples parmi d’autres illustrant les sujets centraux des épisodes.

Une exploration de nos peurs les plus archaïques drapée dans l’étoffe des mythesepisode_Dans__Cauchemars_1Dans « Cauchemar » (4.22), Buffy découvre la nature archaïque de son pouvoir de Tueuse de vampires.

Le matériau choisi par Joss Whedon était donc d’une grande richesse, et la manière dont il l’exploita durant 7 saisons et 144 épisodes de 42 minutes n’en est pas moins brillante, malgré les inévitables ratés ou semi-réussites de certains épisodes. En allant au-delà de la série potache pour ados et de la simple romance pour jeunes filles en fleur (ah, Angel !), en traitant de manière sensible et parfois osée de thèmes difficiles, Buffy a glissé maintes fois sous notre épiderme pour donner vie à tout ce qui relève de l’incommunicable, en parant nos peurs de l’étoffe des mythes anciens. Nous apprendrons d’ailleurs dans la saison 5 que la Première Tueuse est apparue il y a des milliers d’années en Afrique, avant que l’homme ne se mette à parler et marcher. Des hommes avaient implanté en elle le coeur d’un démon, afin de lui permettre de lutter contre les Forces du Mal avec leur propre essence. Une manière de dire que ces peurs archaïques remontent à la nuit des temps et que noirceur et violence sont indissociables de l’être humain : le combat entre le Bien et le Mal n’est pas uniquement une lutte contre une entité menaçante provenant de l’extérieur, elle se déroule en premier lieu en nous, et il faudra être en mesure de le comprendre et de l’accepter si nous ne voulons pas être engloutis par ce trou noir. « Avaler » l’amère vérité ou être avalé, en somme…

A travers les trois articles suivants de ce dossier, nous allons plonger dans la notion centrale de pouvoir au sein de Buffy contre les vampires, inextricablement liée à cette partie archaïque de notre être et de notre psyché, comme l’illustre les origines de la Première Tueuse, qui nous confronte à l’idée de notre propre violence. Mais le pouvoir, est également, de manière évidente, utilisé par Joss Whedon dans une visée qui n’est pas uniquement féministe (l’empowerment), mais aussi plus largement politique, cette dimension prenant progressivement de plus en plus de place au fil des saisons, mais aussi dans le reste de l’oeuvre du créateur, où elle prend par la suite souvent le pas sur la dimension intimiste. Une manière de saluer le travail extraordinaire de conteurs du showrunner et ses scénaristes pour les 20 ans de Buffy, en mettant en avant sa complexité narrative, qui va bien au-delà de son aspect girl power, qui n’aurait pas été aussi puissant s’il n’avait été relié, dès le départ, à un réseau de significations complexe où chacun peut se reconnaître.

Cécile Desbrun

 
Cécile Desbrun est une journaliste culturelle spécialisée dans le cinéma, la musique et l'image de la femme dans la culture. Elle créée Culturellement Vôtre en 2009 et écrit parallèlement pour plusieurs publications en ligne. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'oeuvre de David Lynch et est la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.
 
 

2 Analyse de Buffy par Céline Desbrun 03 avril 2017

Publié le 08/04/2017 à 22:19 par sunnydaleville Tags : Buffy contre les vampires

Analyse 2/4 Buffy contre les vampires : Aux origines du pouvoir de la Tueuse

Par Cécile Desbrum le 3 avril 2017


buffy-premiere-tueuse-cauchemars-saison4Dans « Cauchemar » (4.22), Buffy rêve qu’elle fait face à l’Initiative, symbole du pouvoir américain, tandis que, dans l’ombre, la Première Tueuse veille…

RILEY (en costume de cadre sup, dans les locaux de l’Initiative) : Nous élaborons un plan pour dominer le monde. L’élément-clé ? Les producteurs de café intelligents.

BUFFY : Dominer le monde ? Tu trouves ça bien ?

RILEY : Chérie, on est le gouvernement. C’est notre boulot.

ADAM (en costume, visage humain) : Certains concepts la dérangent. C’est compréhensible. (à Buffy) L’agressivité fait partie de la nature humaine, bien que toi et mois l’exprimions différemment.

BUFFY : Nous ne sommes pas des démons.

ADAM : En est-tu sûre ?

RILEY : Buffy, nous avons du pain sur la planche. On doit faire du classement, donner des noms aux choses.

BUFFY (à Adam) : Quel était le tien ?

ADAM : Avant Adam ? Nul ne s’en souvient.

VOIX A TRAVERS LE SYSTEME DE SECURITE : Les démons se sont échappés. Sauve qui peut !

Les lumières s’éteignent. Riley et Adam se lèvent.

ADAM : Il pourrait y avoir du grabuge.

RILEY : Construisons un fort !

ADAM : Je vais aller chercher des oreillers.

— Le rêve de Buffy dans « Cauchemar » (Restless), épisode 22, saison 4.

Ce dialogue extrait d’une partie du rêve de Buffy dans le dernier épisode de la saison 4, « Cauchemar », constitue une parfaite introduction à la thématique du pouvoir telle qu’elle est explorée dans la série de Joss Whedon car on y trouve deux éléments essentiels : une dimension clairement politique, puisque c’est une véritable satire du pouvoir américain qui se déroule sous nos yeux, mais aussi une dimension plus profonde, archaïque, où la question de la violence et sa nature (maléfique, donc « démoniaque », ou humaine ?) est posée. De manière révélatrice, au moment où Buffy prononce la réplique « Nous ne sommes pas des démons », la Première Tueuse, qui traque alors le groupe dans leurs rêves respectifs, se trouve juste derrière elle, son visage aux contours flous apparaissant en arrière-plan, dans une disposition telle que l’on peut sans mal dire qu’elle représente, à ce moment-là, pas uniquement l’origine du pouvoir de la Tueuse, mais aussi sa part d’Ombre. Nous ne serons donc pas surpris lorsque l’héroïne, suite à ce dialogue, trouve de la boue dans le sac où elle transporte ses armes et s’en enduit le visage, lui permettant de se reconnecter à cette partie archaïque de sa psyché et, par-là même, à sa nature sauvage.

Cet épisode introduit la plongée du personnage aux origines de son pouvoir de Tueuse, qu’elle cherchera à comprendre tout au long de la saison 5, avant de se sacrifier pour sauver le monde et sa petite soeur. Ressuscitée dans la saison 6, elle s’interrogera, non plus sur la nature de son pouvoir, mais sur sa nature tout court (les deux étant indissociables), tandis que le saison 7, condensé de l’ensemble des problématiques de la série, est entièrement centrée sur cette notion de pouvoir, mise en exergue par cette réplique qui ouvre et ferme le premier épisode, « Rédemption » (« Lessons » en V.O.) : « It’s about power », « C’est une question de pouvoir ». Mais, avant d’en arriver à la cristallisation de ce thème dans la dernière saison, qui viendra mettre l’accent sur le message d’émancipation de la série, cette scène de « Cauchemar » propose une habile déconstruction du pouvoir hiérarchique, ici représenté par le projet militaire l’Initiative, symbole de la puissance américaine, mais également incarné — dans les saisons 3 et 5 — par le Conseil des Observateurs, dont dépend (en principe) la Tueuse.

Déconstruire la notion de pouvoir : une thématique-clé de Buffybuffy-saison-4-episode-22-restless-premiere-tueuseBuffy face à la Première Tueuse, qui la ramène à l’origine de son pouvoir, dans « Cauchemar » (4.22).

Cette déconstruction, au coeur de Buffy contre les vampires, est essentielle à la série et son message, pas uniquement pour la visée féministe qui la sous-tend, mais également au regard de la visée politique qui se dessine peu à peu, et que Joss Whedon poursuivra dans la suite en comics des aventures de la Tueuse, mais aussi, de manière plus poussée, dans la dernière saison d’Angel, puis Firefly et Dollhouse. Le créateur et showrunner y interroge la notion même de pouvoir : qui le détient et pourquoi ? Et quel est-il ce fameux pouvoir ? Quelle est sa nature, à quoi renvoie-t-il ? De la fin de la saison 4 à la saison 7 de Buffy, ce thème devient donc central et Whedon n’aura de cesse de confronter son héroïne à son statut de Tueuse et à la nature sombre et archaïque de ce pouvoir, condition sinequanone pour ne pas se laisser annihiler par lui et pouvoir décider de quelle manière l’utiliser avant, éventuellement, de le partager, ce qu’elle fera à la fin de la série.

Si la série a parfois été attaquée à travers des « analyses » féministes telles que celle-ci, reprochant à son créateur de soumettre la Tueuse à l’autorité patriarcale du Conseil des Observateurs — un groupe d’hommes blancs basé en Angleterre — les implications politiques ne sont pas du tout considérées d’un oeil patriarcal ou paternaliste, bien au contraire : le Conseil des Observateurs, tout comme le projet Initiative de l’armée américaine dans la saison 4, sont montrés comme clairement à côté de la plaque, puisqu’ils ne comprennent pas réellement ce pouvoir et ce qu’il implique, bien qu’ils pensent pouvoir donner des ordres ou contrôler Buffy, ainsi que les nombreux démons de la Bouche de l’Enfer. Car c’est aussi aussi ça, au final, Buffy : la part de monstruosité et d’innommable tapie en nous, que nous devons confronter et comprendre avant de pouvoir agir au nom d’une quelconque idée de greater good. Or, le pouvoir de Buffy est lié directement à la mort (mort dont elle fait l’expérience personnelle à deux reprises) et la mise en parallèle avec la Première Tueuse, à l’époque où l’homme ne marchait pas encore debout, insiste sur la nature archaïque de ce pouvoir et de la lutte, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

Pouvoir de vie, pouvoir de mortbuffypower4Dans le rêve de Buffy au sein de l’épisode « Cauchemar » (4.22), Riley se lance dans une explication sur la vision du pouvoir défendue par l’Initiative : la domination du monde.

Difficile aussi de ne pas penser au parallèle Première Tueuse/Première Femme, d’autant plus que dans le rêve de Buffy de l’épisode « Cauchemar », nous retrouvons le personnage d’Adam, nommé ainsi par l’Initiative en référence au Premier Homme. Dans la série de Whedon, toutes les Tueuses de vampires sont des femmes et les femmes, comme on le sait, donnent la vie. Buffy, par son statut de Tueuse, donne la mort aux méchants afin de sauver des vies, et cet équilibre indissociable vie-mort est mis en avant et porté à son paroxysme à la fin de la saison 5 dans l’épisode « L’apocalypse (« The Gift » en V.O.), lorsqu’elle réalise que son sang est le seul capable d’empêcher celui de Dawn de couler.

Parce-que, comme le lui avait dit la Première Tueuse lorsqu’elle l’avait invoquée de manière chamanique dans le désert (« La quête », saison 5, épisode 18), « la mort est ton cadeau », mais aussi parce-que « le sang, c’est la vie » : dès lors que nous naissons, nous sommes promis à la mort, mais le sang qui coule dans nos veines se transmet également, et est à même de sauver et de donner la vie tout autant qu’il peut signer notre arrêt de mort si nous en sommes vidés ou si celui-ci est infecté. Buffy comprend d’autant mieux les implications de son pouvoir qu’elle sait ce qu’il en coûte de donner la mort, contrairement à ces messieurs confortablement installés dans leurs fauteuils et agissant en stratèges maladroits, condamnés à être dépassés par leur propre créature, qu’il s’agisse du vampire Zachary Kralik dans l’épisode « Sans défense » de la saison 3, ou d’Adam, créature de Frankenstein hybride, mi-homme, mi-démon, mi-machine dans la saison 4.

Cette impuissance de l’armée face à ce dernier (que Buffy finira par vaincre) est symbolisée de manière très ironique au sein du rêve de Buffy dans « Cauchemar », comme nous l’avons vu, non seulement à travers les dialogues, mais également par la réalisation (voir la capture ci-dessus), Joss Whedon en profitant pour s’attaquer de manière sarcastique et assez subversive au pouvoir américain, centré sur la domination, l’exploitation des richesses étrangères, la manipulation et un patriotisme jusqu’au-boutiste sûr de lui, mais n’hésitant pas à se replier sur lui-même dès que les choses lui échappent de manière ô combien prévisible. Il y a donc là une véritable interrogation de fond, qui dépasse la seule visée féministe, laquelle se trouvera transcendée de manière éloquente dans la dernière saison de Buffy contre les vampires, et plus particulièrement son dernier épisode, comme nous allons le voir dans la suite de notre dossier…

Cécile Desbrun

 
Cécile Desbrun est une journaliste culturelle spécialisée dans le cinéma, la musique et l'image de la femme dans la culture. Elle créée Culturellement Vôtre en 2009 et écrit parallèlement pour plusieurs publications en ligne. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'oeuvre de David Lynch et est la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

 https://culturellementvotre.fr/2017/04/03/analyse-24-buffy-contre-les-vampires-aux-origines-du-pouvoir-de-la-tueuse/

 

3 Analyse de Buffy par Céline Desbrun 03 avril 2017

Publié le 07/04/2017 à 22:13 par sunnydaleville Tags : Buffy contre les vampires
[Analyse 3/4] Buffy contre les vampires : « It’s about power »
Dans la saison 7, Buffy (ici dans l’épisode « L’aube du dernier jour », 7.10) évolue lentement vers une figure d’autorité au sein du groupe, l’isolant et créant des tensions dans l’épisode 19.
 
BUFFY : J’aimerais que ça puisse être une démocratie. Je le souhaite vraiment. Ce serait plus juste, pas de doute. Mais les démocraties ne gagnent pas de bataille. C’est une vérité difficile à entendre, mais il faut qu’il y ait une voix unique. Vous avez besoin de quelqu’un pour vous donner des ordres et qui soit parfois dur avec vous et qui ne prenne pas vos sentiments en compte. Vous avez besoin de quelqu’un pour vous diriger.
 
 
— « La Fronde » (« Empty Places »), saison 7, épisode 19
 
Ce monologue de Buffy dans la saison 7 de la série a fait couler beaucoup d’encre : l’héroïne s’y oppose à ses amis, qu’elle cherche à convaincre de mener une attaque-surprise contre la Force (The First dans la V.O.) sur la seule base de son intuition, avec une autorité déplaisante, conduisant ces derniers à l’exclure du groupe suite à un vote. Cependant, cela les mènera droit à la catastrophe puisqu’ils tomberont dans un piège qui coûtera un oeil à Alex et poussera Buffy à venir à leur secours, après quoi celle-ci retrouve sa place de leader. Ce traitement du personnage, et ce retournement de situation, qui peut être interprété comme le signe que la Tueuse a eu raison de se comporter ainsi, ont divisé le public, et donné lieu à certaines analyses jugeant que Buffy a fini par devenir comme les figures d’autorité appartenant à l’ordre patriarcal qu’elle a maintes fois défié. En témoigne l’extrait de ce récent article de blog :
 
En vérité, si Buffy peut échapper aux ordres intransigeants du conseil qu’elle avait critiqué dans les premières saisons, c’est en devenant comme eux. La série nous présente au début une jeune fille très puissante mais qui n’est que l’objet d’un conseil d’observateurs qui dirigent tout, puis qui devient une figure autoritaire envers des personnes qui sont aussi très puissantes mais qui ont besoin d’un.e dirigeant.e. Les femmes, plutôt que d’être des figures fortes par elles-mêmes, utilisant leur force selon leur jugement, sont donc contenues et canalisées à travers des ordres; et même si à la fin Buffy se trouve en haut de la pyramide, ça reste une manière de représenter le pouvoir féminin tout à fait problématique. De plus, le fait que Buffy finisse en cheffe du fait de sa nature de tueuse revient pour moi à naturaliser et donc à justifier le principe de la hiérarchie.
 
— Extrait de l’article « Une relative inversion genrée des pouvoirs » de Douffie Schprizel sur le blog Le cinéma est politique, publié le 12/03/2015
 
Une interprétation très partielle et subjective, qui laisse complètement de côté ce qui s’est déroulé avant ce fameux monologue de Buffy, du point de vue de l’évolution du personnage vis-à-vis de ses amis et du groupe en général, mais aussi dans le reste de la saison, et encore plus lors du final, lorsque, après une prise de conscience, elle prononce LE monologue qui cristallise la problématique du show et dans lequel elle décide de partager son pouvoir avec l’ensemble des Potentielles, chose qui ne sera par ailleurs rendue possible que par l’entremise de Willow, la seule qui ait la capacité de faire appel à une magie aussi puissante sans se laisser brûler par elle et s’en verra d’ailleurs transcendée, à l’inverse de son évolution maléfique lors de la seconde moitié de la saison 6. Ce partage du pouvoir de l’Elue, qui était aussi appelée « The Chosen One » dans la V.O. est crucial dans le message délivré puisque, si Buffy a bien été « appelée », elle n’est plus à la fin de la série la Seule, l’Unique ; ou plutôt encore moins que précédemment puisque depuis la saison 2, il y avait déjà deux Tueuses de vampires en activité, la brève mort de la jeune fille ayant entraîné l’activation d’une seconde Élue. Tout le poids du monde ne pesant plus sur ses seules épaules, une perspective d’avenir s’ouvre enfin à elle à l’issue du final de la série.
Une figure d’autorité interrogée et parfois mise à malvolume_1
Illustration de couverture par George Jeanty du dernier fascicule de la saison 8 de « Buffy » en format comics.
 
Et si, dans la saison 8 proposée en comics, Buffy reste à la tête des troupes, soudain devenues une véritable armée, cette légitimité hiérarchique n’est jamais aussi fermement établie que ce que l’on pourrait croire et Whedon (qui assure le scénario) d’utiliser Giles, qui s’était autrefois opposé au Conseil des Observateurs, de manière fort ambiguë : en devenant une armée, donc, de fait, un pouvoir alternatif capable de tenir tête à l’armée américaine plutôt qu’un « petit groupe anarchiste » tel que le qualifiait l’un des responsables de l’Initiative dans la saison 4, l’organisation même de « Buffy et sa bande », leur fonctionnement, sont interrogés par l’auteur de la série. Les Tueuses novices recrutées par Giles pour servir de doublure à Buffy et donc d’appât répondent à un « appel », mais celui-ci n’est pas divin : elles servent de chair à canon, de même que tout soldat partant combattre au front, d’où une illustration très pertinente de cette histoire, où l’on voit Buffy pointer son doigt sur une affiche portant l’inscription « I want you to be strong » tandis qu’une jeune Tueuse effrayée se tient devant le mur sur lequel est collée celle-ci.
 
En acquérant officiellement le statut de chef, plutôt que d’être simplement une super-héroïne entourée de ses amis pour combattre les Forces du Mal, c’est la figure même de Buffy qui est bousculée, quitte à être parfois mise à mal, ce vers quoi convergeait clairement la saison 7, qui prend sciemment le spectateur à rebrousse-poil afin de nous rendre par moments antipathique cette héroïne à laquelle nous nous sommes identifiés durant des années. On ne s’attardera pas trop sur le parallèle entre cette évolution et la situation sur le plateau, où Sarah Michelle Gellar, à l’époque réputée pour sa distance à l’égard d’une partie de ses collègues, se retrouva d’autant plus isolée lorsqu’elle annonça sans ambages dans une interview la fin de la série alors que le reste de l’équipe n’était supposément pas au courant (ce que Whedon a depuis contesté) pour nous intéresser à ce que cela révèle dans la problématique de la série.
 
Buffy : modèle féministe ou « just a girl » ?the_gift_just_a_girl_Mais..._tu_nes_quune_fille_Cest_ce_que_je_narrte_pas_de_dire

« Mais… tu n’es qu’une fille ». « C’est ce que je n’arrête pas de dire ». Cet échange entre un jeune homme sauvé par Buffy et l’héroïne apparaît au début du dernier épisode de la saison 5, « L’apocalypse » (« The Gift », 5.22), le centième de la série, rappelant au spectateur le concept même de l’oeuvre de Joss Whedon.

A ce moment du tournage, Joss Whedon comme les acteurs savaient donc que cette saison 7 serait la dernière de la série et cette évolution nous prépare aussi à ça : Buffy approche de la fin, ce qui ne signifie pas pour autant la fin de l’histoire, puisque celle-ci, ouverte, s’est prolongée sur un autre support. Cependant, le showrunner nous prépare de plus en plus à ce final, dont le passage de relais avec les Potentielles comporte une dimension meta 100% assumée : le personnage de Buffy a été érigé en modèle durant des années — bien que son créateur se soit attelé, de manière juste et très à propos, à nous rappeler qu’elle est au final une personne humaine, « just a girl », dans la saison 6, où elle s’enfonce dans la dépression — mais il y a toujours un problème de fond à se voir placé sur un piédestal, y compris dans le cadre d’une oeuvre de fiction, lorsque l’on prétend vouloir prôner l’émancipation. Whedon, élevé par une enseignante féministe, qui a été et reste son principal modèle en la matière, en a parfaitement conscience et semble renvoyer au public cette question : qu’est-ce qu’être un modèle ? Etre exemplaire ? Buffy ne l’est pas et, honnêtement, qui l’est ?

Lors de la saison 6, de nombreux spectateurs n’ont pas compris cette volonté et l’ont très mal pris, s’offusquant de la tournure très noire des événements et de la relation Buffy-Spike, placée sous un jour sado-maso autodestructeur, marquée par un sentiment de honte et de culpabilité écrasant. Au début de la saison 7, le créateur semble avoir écouté le public en revenant à un ton plus léger, ainsi qu’aux « bases » de la série, cependant, rusé, il prépare cette évolution que certains n’ont pas manqué de voir comme une ultime atteinte à leur icône, de la même manière, finalement, que de nombreux fans de la série Twin Peaks avaient violemment réagi à la vision noire, réaliste et viscérale du supplice de Laura Palmer dans le prequel Fire Walk With Me, sorti en 1992, alors que celui-ci avait été suggéré mais jamais montré sur le petit écran.

Pourtant, descendre, ne serait-ce que brièvement, l’icône du piédestal ne revient pas, de la part de Whedon, à brûler ou mépriser le phénomène qu’il a engendré, pas plus que  David Lynch ne profane son oeuvre culte en montrant l’autre versant de l’histoire qu’il a imaginée avec Mark Frost, c’est-à-dire l’horreur, pour ne pas dire la pourriture sur laquelle elle est basée pour ainsi dire, et qui ne saurait être ensevelie sous les litres de café et les montagnes de cherry pies. Dans le cas de Buffy, il s’agit d’une démarche salutaire, qui est à rapprocher de celle de Norman Spinradvis-à-vis du personnage de Pater Pan dans son roman L’Enfant de la Fortune, parabole psychédélique réinterprétant à sa manière la révolution sexuelle de la fin des années 60 aux États-Unis pour mieux la déconstruire.

Descendre l’héroïne de son piédestal et affranchir les spectateursBuffy_et_Willow_illustration_de_Jo_Chen_volume_1

 Buffy et Willow dans la saison 8 de la série en format comics. illustration de Jo Chen.

 Dans l’histoire imaginée par cet auteur culte de la SF underground, une bande de joyeux enfants de la bohème se réunit autour de la figure de Pater Pan, dont on nous dit qu’elle est à l’origine de celle du Peter Pan de James L. Barrie. Pater Pan n’est pas seulement un vilain garnement qui refuse de grandir (et qui serait aussi sexué que le Pan de Barrie est asexué), il est une essence, celle d’une quête d’absolu et de liberté totale, qui n’a pas de fin et dans laquelle se sont retrouvés ces millions de jeunes hippies, qui étaient eux aussi à la recherche d’autre chose, d’une alternative à ce que la société avait à leur proposer. Cependant, cette volonté initiale de liberté, prônée à grands coups de slogans tels que « Il est interdit d’interdire » ou « Élections, piège à cons », a rapidement muté, et de nombreux jeunes en perte de repères se sont retranchés dans des communautés répondant à une organisation hiérarchique. Eux qui prétendaient ne pas avoir besoin de chef, ne pas en vouloir, cherchaient une « révélation », mais, craignant de ne pas la trouver en eux, ont alors cherché des figures d’autorité à même de les galvaniser. Dans le cas de la « Famille » Manson, cela a eu des conséquences dramatiques, bien que la plupart des communautés n’avaient bien sûr rien de criminel.

Toujours est-il que le bel idéal utopiste de Mai 68 et de l’Été 67 s’est assez vite étiolé, et que nombreux sont ceux qui se sont égarés sur des chemins de traverse en voulant rejoindre et suivre « la route de briques jaunes », que cela soit dans des paradis artificiels ou autre. Furieux de voir tous ses « enfants » auxquels il n’a cessé de dire qu’ils étaient leur propre maître le considérer comme leur chef et une quasi-divinité, flattant ainsi son propre ego de gamin narcissique (comme n’importe quelle rock star ?), Pater Pan décide donc de partir en abandonnant ses troupes, dépité qu’ils se soient placés dans une telle position de dépendance. L’héroïne le retrouvera à la fin, las et fatigué par sa quête sans fin, approchant dangereusement de la mort après être tombé de manière ô combien ordinaire dans les drogues dures, comme beaucoup de stars ou d’intellectuels de l’époque. Quelque chose s’est brisé, le « dieu » est descendu de son piédestal, mais son esprit, son essence demeure, ainsi qu’un profond sentiment d’espoir, qui libérera, en un sens, l’héroïne.

Pour en revenir à Buffy, il faut bien comprendre que descendre l’héroïne de son piédestal est nécessaire pour aboutir à cette fin positive et engagée, véritable message d’empowerment. Car, il ne saurait être question d’ « empowerment » — expression sans équivalent en français qui ne désigne pas tellement le fait d’être « fort » que celui de trouver la force qui nous est propre en nous-mêmes, afin de nous propulser en avant — si les spectateurs restaient sur l’idée que Buffy est un pur modèle féminin : tout aussi forte, courageuse et complexe soit-elle en tant que personnage de série télé, l’intention de Joss Whedon n’a jamais été de donner des leçons ou d’indiquer la « marche à suivre » pour s’accomplir et s’émanciper. C’est à chacun de nous, homme ou femme, de le faire, selon nos propres termes. La saison 7 de Buffy est donc une manière pour le créateur d’affranchir progressivement les spectateurs de son héroïne, de sorte que la portée et l’impact du message final de la série soit d’autant plus fort.

Pas assez féministe Buffy ?la_fronde

Buffy, seule et amère après son éviction (temporaire) du groupe dans l’épisode « La Fronde » (« Empty Places », 7.19).

On peut imaginer que Whedon a été dépassé par les réactions à sa série et son impact durable, ce que suggère d’ailleurs la biographie que lui a consacré Amy Pascale, où elle relate par exemple la stupéfaction du scénariste lorsque son mentor et ancienne prof de cinéma Jeanine Basinger lui avait fait prendre conscience de la portée de son oeuvre sur un public bien plus large que ce qu’il aurait pu espérer. Et, s’il s’est bien sûr réjoui de voir que beaucoup se sont reconnus dans la série et ce qu’elle véhiculait, il a également été confronté, comme nous avons pu le voir, à certaines réactions épidermiques de féministes (hommes ou femmes) n’hésitant pas à l’attaquer à chaque fois que Buffy ou Willow se comportaient d’une manière différant d’une façon ou d’une autre avec le modèle qu’elles étaient censées incarner pour la seule raison que le scénariste avait été érigé du jour au lendemain en étendard du féminisme, en même temps que son héroïne. Ce qui l’a, par la même occasion, exposé à la vigilance accrue de certaines personnes, jaugeant à chaque nouvel épisode si Buffy se déroulait de manière « réellement » féministe, ou l’était suffisamment…

Mais Buffy n’a jamais été Mickey Mouse, et, si la série de Whedon a parfois essuyé des reproches pas si éloignés de ceux adressés à Walt Disney à chaque fois que sa petite souris se comportait de manière « répréhensible », ce qui l’a conduit à rendre son héros de plus en plus consensuel, jusqu’à en faire l’Américain moyen par excellence (lire à ce sujet Lafacecachée de Mickey Mouse de Clément Safra), elle n’a jamais été érigée en symbole de l’Amérique et a toujours eu un public plus limité, sur un réseau câblé qui plus est, permettant à son créateur de rester relativement libre. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser que le showrunner, en dépit de la distance qu’il a toujours affecté de prendre vis-à-vis de ces « polémiques » ressemblant davantage à des feux de paille, n’en a sans doute pas moins été titillé par ces réactions révélant en creux une demande, un besoin de retrouver, épisode après épisode, un personnage fort et infaillible qui montrerait la voie, pas uniquement au cinéma et à la télévision, mais à des millions de personnes tout à fait réelles, qui trouvent dans la série un réconfort, une source d’inspiration.

Aussi saugrenues ces réactions fussent-elles en apparence, elles n’en témoignent pas moins, à leur manière, d’un attachement profond à la série et ses personnages puisque certains des internautes prenant le clavier pour tacler les scénaristes sur tel ou tel choix estiment que ces derniers ont parfois « trahi » ces êtres de fiction, voire l’essence même de l’oeuvre, que Whedon a pourtant portée en lui bien des années avant qu’elle ne voit le jour dans sa première incarnation au cinéma, en 1992. On imagine alors le vertige de l’auteur prenant conscience que le monde qu’il a créé a pris son indépendance bien au-delà de ses attentes.

Buffy : récit initiatique et empowermentdernier_plan

Le prémice d’un sourire, interrompu par le noir du générique : la fin de « Buffy » est une ouverture, où l’héroïne, à l’issue de son cheminement, peut enfin faire face à l’avenir. Un pur récit initiatique.

« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », disait l’oncle de Peter Parker, alias Spider Man, à ce dernier, dans le comics Marvel et son adaptation sur grand écran par Sam Raimi — réplique d’ailleurs reprise en clin d’oeil dans la première saison de Buffy. Buffy, en tant que personnage, a été confrontée à cette responsabilité à travers les nombreuses intrigues de la série, mais Joss Whedon, en tant que créateur et showrunner, y a été confronté de manière évidente. Et, avec cette ultime saison, alors que le monde entier est pendu à ses lèvres et se demande comment vont s’achever les aventures de la Tueuse et ses amis, il décide que lui, pas plus que son héroïne, ne désignera une voie toute tracée à travers un discours qui serait celui d’une Élue à ses fidèles, et qui aurait pour but de « révéler » un quelconque secret renfermant une clé universelle même s’il y aura bien, nous allons y arriver, un discours fédérateur et inspirant.

Buffy n’est pas le messie, et si elle s’est comportée en chef, la victoire contre La Force à l’issue du dernier épisode est une victoire collective, qui n’a rien de définitif : la Bouche de l’Enfer de Sunnydale est tombée, mais le Mal est toujours là et continue de rôder. Cependant, ayant partagé son pouvoir et n’étant plus seule détentrice, avec Faith, d’un statut exceptionnel, la dynamique entière s’en trouve changée, et elle avec. C’est le propre des récits initiatiques après tout, ce qu’est Buffy d’un bout à l’autre : l’histoire d’une adolescente « ordinaire » s’étant découvert des capacités extraordinaires, et dont les épreuves l’élèvent jusqu’à ce que, devenue jeune adulte, l’avenir s’ouvre enfin devant elle, l’autorisant à aborder la vie sous un autre jour que celui de la simple survie. Une histoire universelle, racontée de manière personnelle par un conteur hors pair et des scénaristes brillants, et qui a ouvert la voie à plus d’un titre à une place plus dynamique des femmes au sein de la pop culture, et qui a contribué à donner une nouvelle impulsion à un féminisme qui demeure, à l’heure actuelle, en pleine redéfinition, marqué par de nombreux remous et courants contradictoires qui étaient déjà sous-jacents il y a 20 ans de cela.

Mais Buffy contre les vampires, c’est aussi une oeuvre interrogeant la manière dont un jeune adulte prend place dans le monde, avec toutes les implications, intimes comme politiques, que cela suppose. Au fond, Buffynous encourage, sans volonté moralisatrice (ce qui ne signifie pas que la morale et l’éthique ne soient pas interrogés, bien au contraire), à nous montrer responsables, pas uniquement vis-à-vis des autres, mais en premier lieu vis-à-vis de nous-mêmes. Le pouvoir est quelque chose qui se conquiert, mais l’empowerment ne consiste pas à dominer l’autre, que ce soit par la force ou l’idéologie : il s’agit bien au contraire de trouver en soi le moteur d’avancer et de surmonter les obstacles se dressant sur notre chemin, tout en sachant que nous serons, à plus d’un égard, notre plus redoutable ennemi. Ceux qui se laissent enivrer par le pouvoir et en abusent sont ceux qui possèdent les plus grandes failles, mais ceux qui parviennent à surmonter le gouffre pour effectuer le « saut de la foi », comme Indiana Jones à la fin de La dernière croisade, pourrons en faire un usage raisonné, s’en céder à ses sirènes.

C’est ce à quoi est confrontée Buffy tout au long de la saison, mais aussi lors du dernier épisode, lorsque La Force prend son apparence pour lui faire face, peu de temps avant le grand affrontement, la finale des finales, où notre héroïne sera confrontée au dernier obstacle se tenant entre le héros des récits mythiques et sa destinée : assimiler sa part d’Ombre ou être engloutie par elle. Rendez-vous donc pour la dernière partie de notre dossier...

Cécile Desbrun

 
Cécile Desbrun est une journaliste culturelle spécialisée dans le cinéma, la musique et l'image de la femme dans la culture. Elle créée Culturellement Vôtre en 2009 et écrit parallèlement pour plusieurs publications en ligne. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'oeuvre de David Lynch et est la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.
 
 
 

 

 

 
 
 

 

4 Analyse de Buffy par Céline Desbrun le 03 avril 2017

Publié le 06/04/2017 à 14:17 par sunnydaleville Tags : Buffy contre les vampires

[Analyse 4/4] Buffy contre les vampires : Prendre place au sein du monde

Inanna et Ereshkigal, les deux soeurs, respectivement la lumière et les ténèbres, représentent, selon la symbolique antique, la même déesse sous ses deux aspects ; et leur affrontement illumine tout le sens du périple mythique semé d’embûches. Le héros, dieu ou déesse, homme ou femme, la figure au sein du mythe et le rêveur à l’intérieur du rêve,  découvre et assimile son opposé (son moi insoupçonné) soit en l’avalant, soit en étant avalé. Une à une, les résistances cèdent. Il doit mettre de côté sa fierté, sa vertu, sa beauté et enfin sa vie, et s’incliner ou se soumettre face à l’intolérable sans nom. En fin de compte, il découvre que lui et son opposé ne sont pas différents, mais ne font en réalité qu’un.

Joseph Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Baskerville, Fontana Press, 1993 (éd. originale Princeton University Press, 1949), pp. 105-109. Traduction personnelle.

Cette citation de l’anthropologue américain Joseph Campbell, extraite de son analyse de la descente aux Enfers de la déesse du ciel de la mythologie sumérienne Inanna, partie affronter sa soeur ennemie Ereshkigal se révèle tout à fait appropriée pour considérer le processus d’assimilation auquel est confrontée Buffy tout au long de la saison 7, et qui trouve son accomplissement dans le tout dernier épisode de la série, « La fin des temps – 2ème partie » (« Chosen » en V.O.), lorsque La Force (The First dans la V.O.) prend son apparence pour lui faire face, nous renvoyant à la figure du doppelgänger, qui avait déjà été explorée à travers Willow dans la saison 3. Face à face, légèrement penchées l’une vers l’autre, les deux « Buffy » se jaugent. La Force tente de déstabiliser la Tueuse en répétant le monologue traditionnellement récité en voix-off par Giles au début de chaque épisode (« A chaque génération, il y a une Tueuse… »), en lui laissant entendre que son destin d’Elue est d’être seule dans sa mission et de mourir. Pourtant, si Buffy reste silencieuse et en apparence songeuse face à cette tirade, elle confie ensuite à Spike avoir la certitude que leur camp va gagner : la Force lui a involontairement soufflé la solution à ce problème inhérent au statut de Tueuse de vampires en appuyant dessus.

Assimiler son double inversé : une étape essentielle de tout récit mythiqueContre_attaque

La relation de Buffy et Spike est une autre forme d’assimilation de l’Autre monstrueux. Ici dans l’épisode « Contre-attaque » (« Touched », épisode 7.20)

Ce processus d’assimilation est, à vrai dire, un élément récurrent de la série, que l’on retrouvait déjà dans l’affrontement Buffy-Faith dans la saison 3, mais aussi, de manière plus explicite, dans l’épisode en double-partie de la saison 4 « Une revenante » (« This Year’s Girl »/ « Who Are You? » en V.O.), où il est clairement montré que la seconde n’est autre que ce que la première aurait pu devenir sans le soutien de ses amis. Quant à la saison 5, comme nous l’avons vu plus tôt, Buffy partait en quête pour comprendre les origines et la nature de son pouvoir, une quête qui se terminait par son sacrifice lorsqu’elle réalisait que sa mission et son pouvoir même étaient intrinsèquement liés à la mort, et qu’elle devait donner sa vie afin de préserver, non seulement celle de sa soeur, mais aussi celles de la Terre entière.

L’héroïne avait donc déjà connu une première descente aux « Enfers », non pas six pieds sous terre, mais lors de sa résurrection forcée, qui l’avait obligée à affronter une réalité fort peu héroïque dont elle ne voulait pas et à laquelle elle tentait alors tant bien que mal de se soustraire, en se laissant gagner par l’apathie, puis en se heurtant corps et âme à elle-même à travers sa relation avec Spike, Autre monstrueux qui était le seul à même de la comprendre à ce moment-là, et qu’elle méprisait pour la seule raison qu’il la renvoyait à cette nature impure, monstrueuse, qu’elle détectait en elle et détestait de toutes ses forces. Sauver (une nouvelle fois) sa soeur et parvenir à lui dire : « Je veux te montrer le monde, pas t’en protéger » marquait alors sa lente remontée vers la lumière, tandis que Spike, pour regagner son humanité déchue après avoir tenté de la violer, effectuait quant à lui sa descente pour effectuer son propre parcours du combattant. Sa remontée vers la lumière, toute christique, se fera à la toute fin du dernier épisode, lorsqu’il se sacrifie, irradié par la lumière, pour permettre aux Tueuses et leurs alliés de détruire la Bouche de l’Enfer et ainsi remporter la victoire.

L’usage du pouvoir : tout le poids du mondeBuffy_Faith_et_les_Potentielles_La_fin_du_monde__partie_2Buffy, Faith et les Potentielles peu de temps avant le combat final dans le dernier épisode de la série, « La fin du monde – partie 2 » (« Chosen » en V.O.).

La saison 7 s’attache donc à nous montrer la suite logique du parcours de Buffy, qui, après s’être « inclinée » devant l’innommable et avoir donné sa vie, doit achever cette phase d’assimilation en se confrontant à une entité qui est la personnification de tous les démons qu’elle a pu affronter jusque-là, démons qui ont un statut métaphorique assumé d’un bout à l’autre de la série. Son statut d’Élue et de chef de bande, sa légitimité seront remis en question, sous pression, elle instaurera un rapport de force qui se retournera contre elle… Tout est question de pouvoir ici, et la question est de savoir, dans le fond, si elle est prête à effectuer le saut de la foi alors qu’elle doit mener à la bataille des dizaines de gamines peu préparées, sachant que beaucoup mourront, peu importe l’issue de cet affrontement final.

Joss Whedon montre ainsi le poids qui pèse sur elle lorsque la plus fragile des Potentielles, terrorisée par les manipulations de La Force, se pend avec ses draps durant la nuit. La réaction en apparence froide de la Tueuse à ce moment-là ne traduit en rien ses sentiments, mais témoigne de sa volonté acharnée à ne pas faiblir face à une situation désespérée, où le moindre signe de panique de sa part pourrait avoir des conséquences dramatiques sur l’ensemble du groupe. Après son éviction temporaire, puis son retour lorsque les choses se corsent, elle sera amenée à comprendre qu’elle ne peut compter sur sa seule intelligence ou sa seule autorité pour remporter cette victoire, même si ses intuitions sont souvent justes. Les précédentes saisons nous l’ont déjà montré, à différents degrés, mais la saison 7, en tant que finale des finales, en propose à la fois le condensé et le summum. Après avoir franchi les étapes pas à pas, elle se retrouve dans une position où la moindre de ses décisions a des conséquences profondes sur l’ensemble du groupe. Comment fera-t-elle face à ses responsabilités ? Quel usage fera-t-elle de son pouvoir ? On en revient toujours à cette question-clé, et à cette réplique, d’abord prononcée par Buffy en s’adressant à Dawn dans le premier épisode de la saison 7, « Rédemption » (« Lessons » en V.O.), puis reprise par La Force en s’adressant à Spike : « It’s about power ».

« Etes-vous prêtes à être fortes ? »la_fin_des_temps_partie_2_discoursLe discours de Buffy face aux Potentielles dans l’épisode final de la série, « La fin des temps – partie 2 » (« Chosen »), qui annonce un passage de relais.

La réponse que trouve Buffy à cette question inextricable, à laquelle se frotte chaque leader, sera finalement révélée à travers ce monologue :

 

BUFFY : Je déteste ça. Je déteste la raison de ma présence ici. Je déteste que vous soyez ici. Je déteste l’existence du Mal, mais j’ai été élue pour le combattre. J’ai souvent souhaité que cela n’ait jamais été le cas, et je sais que c’est aussi ce que certaines d’entre vous se disent. Mais il n’est pas question de souhaits ici, mais de choix. Je pense que nous pouvons vaincre ce Mal, pas lorsqu’il viendra à nous, lorsque son armée sera prête, mais maintenant. Demain matin, j’ouvrirai le sceau, je vais descendre dans la Bouche de l’Enfer afin d’en terminer une bonne fois pour toutes. Vous vous demandez sans doute ce qui rend les choses différentes à présent. Qu’est-ce qui nous différencie d’un tas de filles choisies les unes après les autres ? C’est vrai, aucune d’entre vous ne dispose du pouvoir dont moi et Faith disposons.

(…) Mais voici venu le moment de faire un choix : et si vous aviez ce pouvoir ? Maintenant. A chaque génération, il y a une Tueuse, parce-qu’une poignée d’hommes qui sont morts il y a des milliers d’années ont édicté cette règle. Ils étaient puissants. Cette femme (en montrant Willow) est plus forte qu’eux tous réunis. Donc je dis : changeons les règles ! Mon pouvoir devrait être votre pouvoir. Demain, Willow utilisera l’essence de la faux afin de changer notre destin. A partir d’aujourd’hui, chaque fille au monde qui a le potentiel d’être une Tueuse, sera une Tueuse. Chaque fille qui a les capacités d’avoir le pouvoir l’aura. Toutes celles en mesure de s’élever le feront. Des Tueuses. Chacune d’entre nous. Faites votre choix : êtes-vous prêtes à être fortes ?

— « La fin des temps, partie 2 » (« Chosen »), saison 7, épisode 22

A travers ce discours explicite, peut-être rendu un chouïa trop appuyé par le montage parallèle montrant des adolescentes américaines moyennes dont une jeune fille ronde harcelée et une autre jouant au baseball et s’apprêtant à tirer, Joss Whedon ramène au premier plan la thématique féministe de la série, mais aussi son discours d’empowerment, qu’il rend clair comme de l’eau de roche. Etre forte n’est pas une simple question de chance, il s’agit aussi d’un choix, celui de s’élever plutôt que de subir. Et cela ne devrait pas être un quelconque privilège, que l’on pourrait comparer à un privilège de classe. Buffy n’est pas une bourgeoise s’adressant à de petites mains allant au turbin à sa place (ce qui avait été reproché, par exemple, à Emmeline Pankhurst, chef de file des Sufragettes, en son temps, en dépit de ses nombreuses arrestations), et, après en avoir fait baver dur aux jeunes Potentielles, ainsi qu’à ses amis, elle s’apprête à partager son pouvoir, qui ne sera pas un pouvoir divisé, mais au contraire multiplié. Le saut de la foi ultime, puisqu’elle accepte que le contrôle lui échappe. Un saut qu’elle est en mesure de faire pour la simple et bonne raison que, ayant été confrontée au pouvoir et ses responsabilités, elle a été capable d’assimiler sa part d’Ombre. Ce cheminement personnel lui permet alors de penser, enfin, de manière véritablement collective, et non plus uniquement individualiste.

Choix et prise de conscience collectivedernier_plan_1Les personnages principaux réunis après la victoire dans le dernier épisode de « Buffy », « La fin des temps – partie 2 » (« Chosen » en V.O.).

Par le biais de ce discours de rassemblement, elle appelle donc à une prise de conscience et une responsabilité collective là où son camp était auparavant divisé par des querelles et rivalités internes qui ne pouvaient que leur nuire. Comme le rappelait le personnage de Whistler à la fin de la première partie d’ « Acathla » (« Becoming » en V.O.), le final de la saison 2, ce sont nos choix qui nous déterminent et font de nous ce que nous sommes. Buffy est déjà passée par là et, comme elle, les Potentielles, devenues Tueuses, seront confrontées à des événements sur lesquelles elles n’auront aucune prise, elles feront sans doute des erreurs, mais elles se forgeront grâce à leurs choix. Faire un choix, c’est s’affirmer en tant qu’individu, ce qui est différent de subir face à des événements qui nous prennent au dépourvu.

 

Dans ce final, Buffy et Willow, les deux personnages les plus puissants de la série —l’une dont le pouvoir est inné, l’autre pour lequel il a été acquis grâce à la détermination et la persévérance, ce qui a son importance — rompent cet ordre hiérarchique et — dans ce contexte — patriarcal, qui oppose les femmes les unes aux autres pour mieux les diviser. Ce discours est un refus de se laisser gagner par l’apathie et le découragement, un état d’esprit qui favorise des crises sociétales importantes puisque le peuple, alors, devient facilement influençable et manipulable. Ce refus de la passivité, s’il est ici mis en avant au féminin car ce message d’empowerment féministe est au coeur de la série, est également représentatif de la vision politique défendue par Joss Whedon quant à la place de chacun au sein de la société : nous retourner les uns contre les autres, y compris lorsque nous sommes censés faire cause commune, est non seulement contre-productif, mais c’est aussi rentrer dans le jeu de ceux qui divisent pour mieux régner. Nous devons être plus forts que ça, afin de faire des choix individuels, mais également collectifs, avant qu’on ne les fasse pour nous. Un message à la résonance toujours actuelle.

Bien sûr, l’on pourrait encore disserter sur la manière dont Joss Whedon a continué son oeuvre en comics, en poursuivant, à plus grande échelle, cette réflexion autour du pouvoir et ses responsabilités : quand on passe d’un petit groupe marginal à une grande structure organisée et nécessairement hiérarchisée, comment évite-t-on de devenir précisément ce contre quoi nous luttons ? Et là encore, il y aurait beaucoup à dire sur les échos que l’on peut trouver dans notre réalité contemporaine, marquée ces dernières années par de vraies avancées, mais aussi des divisions de plus en plus ancrées, des deux côtés du spectre politique, capables de nous entraîner vers un point de rupture bien plus inquiétant que la crise financière de 2008.

Mais il serait davantage pertinent, pour cela, de procéder à une analyse croisée incluant Angel, Firefly et Dollhouse, dans lesquels le créateur a pris davantage de distance avec la dimension intimiste, afin de mieux rendre compte de la vision d’ensemble qui se dessine de manière certaine à travers son oeuvre. Disons-le sans détour, cette thématique au sein de ces différents matériaux est bien trop dense pour faire l’objet d’un simple dossier en ligne : ce serait véritablement le sujet d’un livre. Il est aussi évident que la présidence de Trump, contre lequel Whedon s’est élevé, marquera la suite de son oeuvre, quelle qu’elle soit, et il sera intéressant de voir sous quelle forme cela se manifestera. En attendant, nous referons sans hésitation route vers Sunnydale, afin de revivre encore une fois auprès de Buffy et ses amis ce singulier voyage initiatique tissé dans l’étoffe des rêves comme des cauchemars, qui nous invite à prendre place au sein du monde.

Cécile Desbrun

 
Cécile Desbrun est une journaliste culturelle spécialisée dans le cinéma, la musique et l'image de la femme dans la culture. Elle créée Culturellement Vôtre en 2009 et écrit parallèlement pour plusieurs publications en ligne. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'oeuvre de David Lynch et est la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.